" Tante Soeur "
(Texte de Marcel Le Boïté, son neveu)
J’ai intitulé cet article « Tante Sœur » car cette personne était connue dans le Conquet sous cette appellation. Il s’agit pourtant bien de ma tante, sœur de mon père, Jean-François Le Boïté (1881-1956)
Elle était née au Conquet, le 1er novembre 1885, et se prénommait : Ernestine. Au lieu de faire son histoire, je préfère laisser la parole au journaliste d'Ouest-France qui a rapporté la fête de son jubilé de profession religieuse, le 31 juillet 1955. Ce reportage donne aussi l’essentiel du contenu de l’homélie prononcée par le R.P. Marie-Joseph Quéméneur. Celui-ci ne nous est pas inconnu puisqu’il était le fils de Jean Quéméneur, ancien pilote côtier de la station du Conquet, disparu avec le Clara Yvonne le 6 novembre 1923, dans l’anse de Porsliogan (voir autobiographie de mon père, 4ème partie.).
(Extrait d’un article paru dans OUEST-France, le 3 août 1955)
Mère Saint Ange LE BOITÉ, du Conquet
A fêté dimanche au Couvent de l’Adoration Perpétuelle à Quimper
Son Jubilé de profession religieuse
La vénérable jubilaire entourée de sa famille
Dimanche (31 juillet 1955), le couvent de l’Adoration perpétuelle, rue de la Providence, à Quimper, était en fête. On y célébrait les 50 ans de vie religieuse de la Mère Saint Ange et par la même occasion, une jeune postulante y prononçait ses vœux.
Mère Saint Ange devait renouveler, au cours de la cérémonie, les vœux qu’elle prononça le (jeudi) 9 mars 1905, dans la même maison.
Une cinquantaine de membres de sa famille l’entouraient. C’est M. l’abbé Derrien, recteur du Conquet, qui célébra la grand’messe.
Dans le chœur avaient pris place : M. le chanoine Bacon, aumônier de la Communauté ; M. l’abbé Trévidic, vicaire du chapitre cathédral ; M. l’abbé Calvez, vicaire à Saint-Mathieu ; M. l’abbé Le Goaster, parent de Mère Saint Ange, etc.
L’allocution de circonstance fut prononcée par le R.P. Marie-Joseph (Quéméneur), du couvent de Kernabeuzen, lui aussi, originaire du Conquet, qui commença par rappeler les liens étroits qui unissent sa famille à celle de la jubilaire.
« Au lendemain de cette nuit tragique du navire la ‘‘Clara Yvonne’’, qui fit de moi un orphelin et un futur prêtre, vous vous êtes penchée sur mon berceau. Quelques années après, moi aussi, je vous appelais « Tante sœur ». C’est à ce titre que j’ai accepté de prendre la parole aujourd’hui. »
Parlant ensuite du grand livre qu’écrit dans l’invisible toute vie religieuse, le prédicateur poursuivit : « Les premières pages de ce beau livre s’ouvrent sur un magnifique panorama, celui qu’offrent à nos yeux les rudes falaises des côtes du Conquet, du chenal du Four et de l’Iroise où, dans le soleil, l’archipel d’Ouessant étale ses splendeurs. »
« C’est dans ce cadre grandiose, reflet de la beauté et de la puissance divine, qu’une âme d’enfant, voici plus de 60 ans, s’offrait à une vie de grâce puis à l’appel divin. »
« C’était la troisième enfant d’une famille de marins, rude mais profondément chrétienne, où dix enfants entouraient un père et une mère admirables. La scène décisive se passa un soir d’hiver, dans cette vieille maison si proche de celle où rendit le dernier soupir, le Vénérable Dom Michel Le Nobletz. La famille était réunie au grand complet. La grand’mère s’était fait lire, comme à l’accoutumée, la vie des saints dans le texte breton. Le père qui toute la journée, avait sillonné la redoutable chaussée des Pierres noires, était assis entouré de ses fils. Soudain le plus jeune, Émile, qui n’avait que six ans, demanda tout haut la permission pour sa grande sœur de 19 ans, d’entrer au couvent. »
« Le vieux marin ne fut pas interloqué. Cinq ans auparavant il avait refusé cette permission parce qu’il n’était pas raisonnable pour une fillette de 14 ans, de faire pareille demande. Cette fois-ci, après un silence impressionnant, tandis que battaient bien fort le cœur d’une postulante et celui d’une maman complice, le vieux marin, les yeux fixés sur son dernier né, sur son petit mousse, répondit : « Oui… si elle veut… »
« Le cœur gonflé de joie et d’enthousiasme, accompagnée de la Mère supérieure, Sœur Marie, si chère aux Conquétois, elle s’en alla frapper à la porte de l’Orphelinat de l’Adoration de Brest. Une grande déception l’attendait. Nous étions en 1904, en pleine persécution religieuse. La Mère supérieure fut formelle et ne laissa aucun espoir : il faudrait même, disait-elle, envisager sous peu le renvoi des novices. »
« Le coup fut brutal, mais la jeune Conquétoise savait que les tempêtes sont toujours suivies d’accalmies. M. l’abbé Kerouanton, alors vicaire, déclara : « Mieux vaut s’adresser à Dieu qu’à ses saints ! » et on s’adressa directement à Quimper. La Révérende Mère Générale, Mère Barthélémy, qui n’avait jamais perdu confiance, accepta sans crainte la novice. »
« Le 9 mars 1905, en une cérémonie comme celle d’aujourd’hui, Sœur Saint Ange se liait définitivement, - comme aujourd’hui chère sœur Sainte Clotilde -, à la Croix du Christ par les vœux de religion. »
S’adressant ensuite à cette dernière et lui proposant l’exemple de Mère Saint Ange, le R.P. Marie-Joseph exalta en termes émouvants, ces trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance auxquels la jubilaire est restée fidèle toute sa vie.
« Chère Mère Saint Ange », dit-il, « vous avez beaucoup aimé votre famille, vous l’avez trop aimée. Que de services rendus, que de courses à travers Brest pour les servir tous, vos chers parents et vos chers amis qui aujourd’hui vous redisent leur affectueuse reconnaissance. »
« Nous adressons à l’heureuse jubilaire nos meilleurs vœux de santé et formons des vœux pour qu’elle connaisse encore de nombreuses années de vie religieuse avant de recevoir la récompense du Père. »
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Tante Sœur est décédée le 19 novembre 1967 quand elle se trouvait à la Communauté de l’Adoration perpétuelle de la rue de Glasgow, à Brest. Elle avait 82 ans. Ses obsèques furent célébrées dans l’église Saint-Martin. Elle repose dans le cimetière Saint-Martin, tombe des Religieuses de l’Adoration, premier carré à droite en entrant par la porte de la rue Yves Collet.
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« Vous l’avez trop aimée ». Ce petit membre de phrase du père Quéméneur explique le dévouement dont Tante Sœur a fait preuve auprès des membres de la famille Le Boïté (et de combien d’autres ! ), et notamment de ceux qui étaient dans les plus grandes difficultés, surtout pendant et après la guerre. Elle venait quêter auprès des plus aisés afin de pouvoir apporter du réconfort aux autres. Mais cela demandait une dépense d’énergie, de courage, d’abnégation, doublée d’un savoir-faire, d’un entregent pour obtenir un logement pour des jeunes mariés, un emploi pour d’autres, une réconciliation entre des époux, entre des parents et des enfants, etc. Alors, dans ce cas, « aimez votre prochain », allait-il à l’encontre de l’attention que Tante Sœur devait porter aussi à sa Communauté, car là aussi elle se dépensait sans compter en faveur des orphelines confiées à leur garde ? (MLB)